Hommage à Zaïma Hamnache

Hommage à Zaïma Hamnache

Chères toutes, chers tous,

en cette période tourmentée, le Service du livre et de la lecture du ministère de la Culture a eu la tristesse d'apprendre le décès de Zaïma Hamnache, le 18 mars dernier, après une longue maladie.

Nous sommes très touchés par cette nouvelle. Au Service du livre et de la lecture, nous la connaissions depuis plus de 15 ans. Comme tous ceux qui l'ont côtoyée, nous pouvons rappeler ses très nombreuses qualités, tant professionnelles qu'humaines, son dévouement à la cause de la lecture, sa grande disponibilité aux autres, son inventivité. Nous gardons tous le souvenir ému d'une collègue si attentive aux autres et avons une pensée toute particulière pour sa famille, son époux et ses enfants.

Nous nous permettons de diffuser sur cette page des témoignages de collègues l'ayant bien connu, que ce soit à ACCES, à La Joie par les livres, au Centre national de la littérature pour la Jeunesse..., pour compléter cet hommage que nous lui devons.

Bien à vous,

- L'équipe de Premières Pages "

 

Lettre à Zaïma

Zaïma, ma si chère amie,

Je me rappelle ma 1ère rencontre avec toi, il y a bien longtemps. C’était à Clamart en 1989. Tu souhaitais travailler avec nous et tu avais posé ta candidature. D’emblée, j’avais été séduite par ta belle personnalité, ton intérêt pour les enfants, ta connaissance des livres pour enfants. Ta parole sonnait juste. Ton expression heureuse, rayonnante témoignait d’un profond équilibre, d’une joie de vivre, toutes qualités si importantes, quand on se rapproche des enfants. Nous t’avons engagée. Tu as tout de suite manifesté ton amour pour ce lieu, tu aimais sa beauté et la vie offerte aux enfants.

Tu es restée 8 ans avec nous. Tu aurais voulu rester plus longtemps et même t’installer à Clamart, à proximité de la bibliothèque. Venir à la Cité de la Plaine, mal desservie par les transports en commun, était une épreuve.

Parce que la bibliothèque traversait des moments difficiles, nous t’avons confié la direction de la bibliothèque. J’ai tout de suite aimé ta façon d’être avec les enfants, ton écoute bienveillante. Je te vois encore, accueillant les enfants qui sollicitaient ton aide pour choisir leurs lectures. Tu engageais avec eux, en tête-à tête, un dialogue pour mieux connaître leur sensibilité, leur désir de connaître et de s’émouvoir. Je revois encore ton geste : une fois la décision prise, dans un geste d’offrande, tu leur donnais le livre choisi. Un geste emprunt de dignité, de confiance réciproque et de respect, à la fois pour l’adulte et pour l’enfant ou le jeune qui le reçoit.  Ainsi, se tissaient, à la bibliothèque des liens entre enfants et adultes. Cette forme de relations me rappelait les tout premiers temps de la bibliothèque de Clamart, lorsque ma plus proche collaboratrice, Lise Encrevé, s’entretenait avec les enfants. Des rencontres inoubliables, nous disent, aujourd’hui, 50 ans plus tard, certains d’entre eux.

J’ai admiré ta manière d’animer la bibliothèque. Tu as toujours agi librement en te fondant sur ce qui est susceptible de susciter la curiosité. En toute liberté, tu t’entourais d’adultes aimant partager avec les enfants leurs expériences leurs passions, ce qui peut les toucher, les passionner. Tu es allée jusqu’à inviter, une fois, Christophe, ton cher mari, instituteur de maternelle. Profondément artiste, merveilleusement ouvert, il savait susciter le désir de connaître. Je l’ai vu ainsi proposer aux enfants une découverte sensible de livres sur les masques africains, en les faisant réfléchir d’abord sur leur signification, selon les cultures.. Alors, tout naturellement, les livres qu’il leur présentait, prenaient vie. Alors, les enfants regardaient ces livres avec un vif intérêt. Il les invitait ensuite à construire leur propre masque. L’atelier, pour cela, leur était ouvert. J’ai beaucoup appris de Christophe..

Ma chère Zaïma, tu nous as aussi beaucoup appris. Tu as fait un extraordinaire travail de formation, où la dimension humaine et le souci de l’enfant ont la première place. Ainsi, ton esprit sera toujours présent. À la bibliothèque, tu as formé beaucoup de bibliothécaires. Beaucoup vont, à leur tour, vivre et transmettre ce qu’ils ont reçu de toi. Je pense à Christelle, venue se former auprès de toi à Clamart. J’y étais et j’admirais comme tu l’accompagnais. Il y a quelques années, passant dans un quartier violent, je suis entrée, par curiosité, dans une bibliothèque. Par chance, Christelle était là, installée par terre, au milieu d’enfants pressés autour d’elle pour écouter des histoires. C’était un spectacle que je ne peux oublier. C’était lumineux, joyeux, tout en couleurs. Le bonheur parfait. Tout cela, chère Zaïma, d’une certaine manière, c’est à toi qu’on le doit.

Grâce à toi, partout dans des lieux parfois inattendus, il y a ces petites rencontres heureuses autour de livres de qualité, et cela, parfois avec des enfants et des adultes malmenés par la vie. Pas de grands rassemblements. Bien au contraire. Tu as toujours aimé ce qui est petit, ce qui se vit librement, dans la confiance et l’intimité, autour d’adultes attentifs, intéressés par l’esprit d’enfance, prêts à échanger avec d’autres, leurs découvertes et réflexions ; avec le cœur ouvert, le cœur intelligent pour reprendre cette expression chère à Hannah Arendt.

La nuit de ton départ, Blandine m’envoyait un message. Nous nous y attendions. Mais, ce fut un déchirement. Guy et elle ne cachaient pas leur chagrin. Nous étions si proches. Blandine, toi et moi ; nous formions comme un trio d’amies. Grâce à vous, je découvrais, au fil des ans, des expériences qui suscitaient mon intérêt. Vous étiez intéressées aussi par le travail que je faisais à l’étranger. Je m’estimais privilégiée d’être accueillie ainsi, par vous deux.

Je recevais, plus tard dans la journée, un message de Thierry Claerr : un message bref qui m’a vraiment touchée. Nous savions bien que ton départ était imminent, mais nous avions besoin de partager notre peine. Son message amical en disait long. Ainsi, m’écrivait-il, nous n’aurons plus ce plaisir que nous avions de nous retrouver régulièrement, tous les trois, pour partager un déjeuner à proximité de la BNF. Un vrai rituel. J’aimais la confiance qui te liait à Thierry, une autorité de la Direction du livre. J’ai toujours aimé ce lien qui exprimait l’amitié et le respect entre vous deux et qui a, certainement, permis de donner chair à tes intuitions et de construire, avec lui, des projets. Toi-même, j’en suis sûre, tu as nourri ses réflexions.

Marie Bonnafé, bouleversée, m’a aussi appelée. Vous étiez si proches. Elle avait si grande confiance en toi qu’elle t’avait confié la direction d’ACCES et, disait Evelio, tu en avais été l’âme. Ce fut une belle collaboration qui a porté ses fruits dans toute la France et au-delà. Je me rappelle combien tu avais été intéressée lorsque, à Clamart, je t’avais parlé d’ACCES. J’en suis heureuse, car ta longue collaboration avec Marie a transformé le regard d’un large public sur l’intelligence sensible des tout-petits.

Zaïma, mon amie, tu es si modeste, que tu ne te rends peut-être pas compte de l’ampleur de ce que tu nous as donné. Cela n’est pas près de s’arrêter, grâce à tous ces bibliothécaires que tu as formés et qui t’admirent. Ils prendront le relais, tout comme Blandine qui partageait tes pensées. Quant à Christelle, sa bibliothèque m’apparait comme un foyer de lumière. Ce que tu as transmis partout a suscité de telles lumières qui nous réjouissent et nous éclairent. Dans notre monde souvent violent, désespéré, blasé, blessé, ces foyers de lumière, ces sources d’eau vive, nous permettent d’espérer un monde meilleur, un monde plus juste, un monde plus heureux.

À toi, toute notre gratitude. Nous ne te quittons pas. Tu seras toujours avec nous, source d’inspiration. Merci, Zaïma. "

- Geneviève Patte

 

" Hommage à Zaïma Hamnache

Comme il est dur d’écrire notre émotion… et puisque Geneviève Patte a déjà écrit sa lettre , qui rend un portrait si beau , si vrai et  qui dit tout, lisons la d’abord. Je vais évoquer d’autres aspects.

Zaïma rejoint le groupe d’A.C.C.E.S. en 1998. Elle deviendra, comme directrice, selon les mots d’ Evelio Cabrejo–Parra « l’âme d’A.C.CE.S. » et nos projets prendront, grâce à elle principalement, une grande extension en France et dans le monde.

Nous sommes un collectif, qui, s’appuyant sur les Bibliothèques, a créé une association pour construire des projets pour la Petite Enfance. L’accès aux livres se trouve ainsi ouvert pour tous les proches, pour la vie entière, accompagnant  la création et l’extension de projets «Livres et Bébés ».

Ainsi, nous nous sommes unis pour construire, en référence à la belle notion de Tony Lainé, la "nidation culturelle" des bébés et de leurs familles». Grâce à sa double compétence, professionnelle de la Petite Enfance au début de sa carrière, et professionnelle du Livre de Jeunesse à un haut niveau, à ses grandes qualités de contact, sa perspicacité pour repérer les qualités – ou les faiblesses - de chacun, elle accompagne les services sur les sentiers des projets culturels pour la Petite Enfance.

Les qualités de Zaïma Hamnache ne sont pas nées de rien. Elle est une femme engagée. Je pense à Louise Michel, comme un modèle qui revenait souvent dans nos conversations. Elle a toujours tracé sa route vers ce but : la culture est un lait que tous doivent boire.

Elle fait partie de cette nouvelle génération d’acteurs de la culture qui, avec la fin du siècle, font basculer la donne. Avec de nouvelles formes, de nouveaux moyens, de nouveaux publics en France, les changements sont impulsés par le Ministère de la Culture, d’abord pour un petit nombre, avec Malraux, puis avec Jack Lang, ils prennent une extension impressionnante. Mais ces transformations n’auraient pas eu lieu sans les artistes, les créateurs et, tout autant, avec des acteurs culturels, des éducateurs, des enseignants, des politiques «  d’en bas », ces transmetteurs, qui sont certainement essentiels dans  ce passage. Et ce sont ces personnes « courroies de transmissions » qui ont porté l’allant de ces profonds changements.

Ces personnes, ce mouvement - que Zaïma évoquait souvent comme des références pour elle - prend sa source dans les avants gardes de l’entre deux guerres, gagnant en profondeur avec les combats de la clandestinité. Char, Desnos, Elsa Triolet, Eluard , Picasso…, leurs noms sont écrits au fronton des bâtiments culturels en Seine-Saint-Denis. Ces maîtres, avec les passeurs du 93 où elle a grandi, c’est avec constance qu’elle les évoquera en rappelant l’école permanente qu’ils ont représentée pour elle, avec son mari, Christophe Gaessler, - qui est enseignant et artiste plasticien (parmi ses œuvres, il réalisera « les Boites à Livres », pour les projets « Livres et bébés » du Conseil Général du 93). Ces transmetteurs de culture des Centres Culturels, théâtres, écoles, et manifestations de tous ordres, tels eux deux, leur couple si profondément lié, sont porteurs de ces profonds changements de l’art vivant dans la culture. Les bibliothèques ne sont pas en reste, dans la suite du mouvement des « Batailles du Livre », riches de conquêtes dans la « couronne » de Paris. Et le Ministère de la Culture, avec Jean Gattegno soutient ce mouvement.

C’est la génération des nouveaux plasticiens, avec Ernest Pignon Ernest, avec les Centres Culturels d’arts plastiques, de Brétigny à Villeparisis, des musiques nouvelles, et où la transformation peut être la plus éclatante est la danse. Est-ce la démarche légère de Zaïma qui m’inspire ici ? Le grand danseur chorégraphe, Angelin Preljocaj l’a dit, «   les CCN [Centres chorégraphiques nationaux], créés par Jack Lang, et enviés dans le monde entier » et il cite celui de Bagnolet- où s’est produit, dit-il, avec de nouvelles sources populaires, la naissance de la danse contemporaine en France. » Au cœur de ces réseaux, les bibliothèques de la Seine-Saint-Denis sont un creuset bouillonnant. Et une culture se construit dans les banlieues avec, dit Jean Vilar, des œuvres artistiques pour le peuple : « un théâtre populaire » oui, « mais avec la qualité, les mêmes exigences » que celles faites pour le public « choisi » du passé. La culture en ces années se modifie profondément. Zaïma Hamnache et Christophe Geissler, leur couple uni dans cette conquête d’une culture au présent, jamais ne s’arrêteront dans cette conquête des formes nouvelles de la culture. Nouveaux textes, autres formes, nouveau théâtre, celui de Joël Pommerat - elle n’a raté aucune de ses pièces -–(la barrière des générations y est abolie) ni celles de la M C 93 et artistes plasticiens, musiciens… Elle rencontrait, au théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis, Jack Ralite – maire et ministre –, ils échangeaient, complices.

Sa compétence, sa pratique exigeante de bibliothécaire jeunesse est en phase avec cet engagement, avec l’exigence de faire connaître les formes les plus actuelles, comme les plus classiques, de la création et, tout autant, penser comment tous peuvent y accéder, en se sentant eux-mêmes graines de créateurs.

En poste au Ministère de la Culture puis à la BNF - au CNLJ- avec la Revue des Livres pour Enfants, comme à la revue Takam Tikou. Chasseuse de têtes, elle repère avec talent et défend la relève des meilleurs jeunes auteurs de littérature de jeunesse. Et elle porte haut cette découverte fondamentale : tous les enfants ont le même niveau de compétence avec les albums et ceci, quel que soit leur origine sociale. Ce que vérifie l’expérience de tous les professionnels du livre dans tous les milieux, même ceux les plus éloignés du Livre ; les très jeunes enfants, sans exception, apprécient la qualité des textes comme celles des images.

Sortir la culture confinée hors de ses murs sera son projet constant, dans une inlassable démonstration allant de la réflexion au plus haut niveau, à la plus humble pratique contre les préjugés tenaces, qu’elle combat sans colère mais avec fermeté.

La rencontre avec l’équipe d’ACCES s’est faite « comme l’eau va à la rivière ». L’idée forte de la fondation des projets « livres et bébés » dans les services de Bibliothèques en lien avec ceux de la Petite Enfance, énoncé comme pivot de nos actions. Le Pr René Diatkine a dit « les enfants ne naisssent pas inégaux, ils le deviennent, parce qu’on ne prend pas suffisamment acte des inégalités qui les entourent ». « Le handicap socio-culturel n’est pas une tare, c’est un malheur ». Avec la volonté de proposer les livres à tous les bébés, en privilégiant les familles les plus écartées du livre, en misant sur les compétences précoces de tous les bébés. Ceci est notre bannière qui s’ancre dans les travaux de recherche, aujourd’hui reconnus qui confirment ce qu’ont prouvé Piaget et les linguistes associés à ses travaux à Genève et Paris. Et ceci enchante Zaïma, piquant sa curiosité, son « épistémophilie ». Active, elle questionne, repère les sources scientifiques et toujours revient aux années de sa jeunesse et à ses sources culturelles.

L’aventure d’ACCES va s’étendre à tout le réseau des Bibliothèques, avec ceux de la Petite Enfance, le Ministère a mis en place le projet « Premières Pages ».Un réseau est né et chaque nouveau-né est désormais le premier acteur des nouvelles « batailles du Livre ».

Zaïma nouera, avec l’équipe d’ACCES et le réseau des Bibliothèques, des contacts multiples en métropole, outre-mer et dans le monde. Cette progéniture qui grandissait la comblait d’aise et toujours ce qui l’a guidé, ce sont les sources scientifiques autant que sa grande culture. Et toujours , les vertus des rencontres telles ses échanges combien productifs avec les fondateurs du projet « Book Start », au Royaume-Uni - qui publieront les travaux de recherches de référence sur les bénéfices dans le scolarité des projets «  Livres et bébés », en Petite Enfance, reliés aux Bibliothèques (travaux de recherche diffusés par l’Unesco) ou encore au Québec , au Mexique, au Maghreb… Continuons à « faire accès » avec tous les bébés qui ont grandi avec les livres et qui, devenus grands, garderont des liens avec les « maisons des livres ».

Une pensée pour leurs familles, ses sœurs, pour Mme Hamnache, sa mère, pour son père disparu, musicien, virtuose de Oud.

Nous devons porter son souvenir dans toute sa richesse, avec Christophe, et leurs deux fils, Fadel et Slim Gaessler, pour transmettre sa force légère, sa douceur, son ouverture au monde."

- Marie Bonnafé, Présidente d’honneur d’A.C.C.E.S. (Actions Culturelles Contre les Exclusions et les Ségrégations)

 

"Chèr.es partenaires de Premières Pages,

J’attendais son retour parmi nous. Je comptais sur elle. J’avais des questions à lui poser. Des questionnements à lui soumettre…Mais Zaïma ne reviendra pas.

Je suis profondément triste. Son intelligence, son humanité, sa générosité éclairée a guidé bien de mes pas depuis que je chemine auprès des livres, des tout-petits et de leurs familles. Lorsqu’en février 2015, Zaïma m’a dit “On avance dans la conception du site de Premières pages: j’aimerais que tu en sois la marraine”, je lui ai bien sûr exprimé mon enthousiasme à cette idée. Non comme s’il s’agissait d’un titre honorifique, mais bien d’une invitation à marcher avec elle, et avec vous, sur le chemin de ce qui m’habite depuis plus de trente ans : permettre à tous les bébés, toutes leurs familles d’être nourris de mots, de beau, de matière à se penser, à penser le monde.

Premières pages doit beaucoup à Zaïma de son ouverture à nos actions incarnées, bien réelles, si diverses et si fortes pour autant. Je voudrais pouvoir l’en remercier une fois encore…

Que ceux qui l’ont aimée et l’aiment pour toujours sachent comme elle était lumineuse, si brillante, et qu’elle a su nous en dispenser les bienfaits à travers tout son parcours de vie.

Au-delà de son départ, et pour toujours, Zaïma restera pour moi un guide, un bâton de bergère… J’ai tellement envie de continuer la route avec elle, avec vous…

Ensemble pour lui dire au revoir...

Chaleureusement,

Jeanne "

- Jeanne Ashbé

© crédit photographique : Simon Cabrejo